Les médias nous montraient des images de migrants embarquant sur des barcasses improbables, parfois tombant à la mer, les corps flottants sans vie, ou ce petit garçon face sur le sable… Puis on voyait ces files interminables de marcheurs vers une destination inconnue aux frontières encore ouvertes… Il y avait là des jeunes enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées, des étudiants, des enseignants, des médecins… et toutes sortes de gens fuyant leur pays en guerre ou dans la misère. On nous répétait toutes sortes de commentaires comme l’afflux de migrants en Europe et en France ressemble à l’invasion du IVème siècle, oubliant qu’il y a peu (70 ans) nous étions, nous Français, en situation inverse pour fuir devant l’envahisseur nazi.
A l’évidence, le problème avait été traité à l’envers. Il eut fallu en premier lieu que l’ONU prenne les choses en main dans les pays concernés pour contrecarrer les despotismes en tous genres, répartir un peu mieux les moyens existants et remettre de l’ordre au sens propre du terme. Il eut fallu aussi que l’Europe, soit disant unie… élabore une politique étrangère commune pour participer de façon organisée et équitable à l’accueil des réfugiés. Il eut fallu enfin que les états-nations, cette survivance passéiste du chacun pour soi, deviennent majeurs pour ne pas tomber dans des surenchères délirantes : je vais accueillir 5 000 réfugiés, et moi donc 10 000, et moi qui suis plus généreux 30 000 en deux ans… quand le premier se ravise et finalement ferme ses frontières, ne sachant pas comment nourrir et loger toute cette foule. Environ 500 000 migrants sont parvenus aux frontières de l’Europe depuis le début 2015, pour autant qu’on puisse les compter par rapport au nombre de noyés. Le flot continue et ce n’est qu’un début, que l’on ne s’y trompe pas. Cette situation n’est que prémonitoire des migrations climatiques qui pourraient bien déferler un de ces jours, comme déjà dit à propos de migrants-ci, migrants-là. Malgré quelques initiatives généreuses d’élus et citoyens, voilà à nouveau la xénophobie qui monte, les murs qui s’érigent, les barbelés qui « protègent les frontières »…
Justement, je suis assis au pied d’un arbre, à contempler le coucher de soleil, et voilà qu’un défilé de fourmis s’étire en un long ruban minuscule vers ce qu’il reste de lumière. Et puis un corbeau freux s’approche, tel la grande faucheuse, se pose et picore à tout va dans cette multitude au destin des plus hasardeux… Le défilé s’éclaircit et je me dis que décidément les hommes et les fourmis ont parfois des destinées ressemblantes… Comme toujours, les hommes peuvent être victimes d’atrocités ou auteurs de celles-ci, comme pouvait en témoigner Germaine Tillion dont Kouri était le nom de résistante (Kouri, par Dorothée Werner, chez J.C. Lattès, 2015).