Dans son ouvrage Inquiétudes d’un biologiste (Editions Stock, 1967), Jean Rostand se fait encore plus précis et précède (ou initie ?) le grand mouvement qui va suivre, relatif au devenir de notre environnement, notamment. Cet extrait me semble très significatif :
Depuis quelques années, les amis de la nature se sont donné pour tâche de dénoncer les incessantes agressions dont elle est l’objet. Agressions contre le sol, contre l’atmosphère, contre les eaux, contre les flores, contre les faunes… Agressions par la pollution radioactive, par les insecticides et les herbicides, par les hydrocarbures… Agressions qui, soit en réduisant le potentiel nourricier de la planète, soit en empoisonnant les aliments ou l’air respirable, soit en rompant les fragiles équilibres naturels, finiront par se retourner contre l’homme.
Et peut-être sied-il de marquer le singulier renversement d’attitude qui, désormais, se trouve imposé à notre espèce.
L’homme avait, jusqu’ici, le sentiment qu’il logeait dans une nature immense, inépuisable, hors de mesure avec lui-même. L’idée ne pouvait lui venir qu’il aurait, un jour, à ménager, à épargner cette géante, qu’il lui faudrait apprendre à n’en pas gaspiller les ressources, à ne la pas souiller en y déposant les excréments de ses techniques. Or, voilà que, maintenant, lui, si chérif, et qui se croyait si anodin, il s’avise qu’on ne peut tout se permettre envers la nature ; voilà qu’il doit s’inquiéter pour elle des suites lointaines de son action ; voilà qu’il comprend que, même dans une mer « toujours recommencée », on ne peut impunément déverser n’importe quoi…
D’où vient ce revirement ?
D’une part, de l’accroissement de la population, qui fait de l’homme un animal toujours plus « gros » et plus envahissant ; d’autre part, des progrès de la civilisation technique qui étendent démesurément ses pouvoirs.
Ne voilà-t-il pas un discours très précurseur ? Certes, depuis cet écrit de… 1967, il y a tout juste 5O ans, la prise de conscience a considérablement évolué, mais chacun mesure ce qu’il reste à faire !