Un accident grave est survenu à l’usine Lubrizol de Rouen, un des 1 300 sites Seveso de France (dont 60 en Seine-Maritime), le 26 septembre 2019, entraînant l’incendie de 10% des installations. Le nuage de fumée et de suie, sous la poussée des vents dominants, a atteint 20 km de long et 6 km de large, quelque chose jamais vu ici.
Les services de l’Etat ont donné l’alerte avec quelques heures de retard, avec des sirènes peu entendues, puis ont délivré des informations fragmentaires, approximatives et manquant singulièrement de pédagogie. Des cafouillages en ont suivi pour la rentrée des écoles, les départs au travail, etc. Une véritable psychose a résulté de cette situation anxiogène et les réseaux sociaux ont explosé sous les commentaires dont beaucoup étaient déplacés, voire stupides. Les jours qui ont suivi ont montré une surenchère invraisemblable : des journaleux (à ne pas confondre avec les vrais journalistes rigoureux) étaient en quête de sensationnel pour capter un peu d’audience et commentaient à tout va des faits non vérifiés ; des politicards (à ne pas confondre avec les femmes et hommes politiques tout à fait respectables) ne voulant rien rater en période électorale pour attirer l’attention, ont émis des hypothèses ou formulé des propositions dénuées de fondements sérieux ; des grincheux « montaient aux rideaux » avant de réfléchir un peu, lançant pétitions, déposant plaintes, on ne sait contre qui, ni pour quel objectif… Toute cette confusion a créé un climat assez effrayant, personne ne sachant plus très bien où était la vérité, s’il y avait danger réel ou pas… Comme un révélateur des dysfonctionnements de notre société ! Faut-il le redire, en environnement rien n’est jamais simple, ce n’est pas noir et blanc. Il n’y a eu ni morts ni blessés certes, mais la situation est grave, il faut donc rester calmes, pondérés et rechercher ensemble des améliorations pour éviter un renouvellement d’une telle situation.
L’usine Lubrizol est installée à Rouen depuis 1954 pour fabriquer surtout des additifs pour les huiles moteurs, pionnière dans cette filière. Ces additifs ont permis d’améliorer les performances des moteurs, c’est ainsi que l’on fait une vidange de sa voiture maintenant tous les 25 000 km au lieu de tous les 5 000 km il y a 50 ans. C’est un gain à la fois économique et environnemental. Cette activité est dangereuse compte-tenu des produits utilisés, ce qui demande des précautions incessantes. Malgré ce risque (Seveso), l’entreprise Lubrizol est reconnue dans le milieu industriel pour être d’une grande rigueur, même si elle a connu plusieurs incidents, olfactifs notamment. Les exigences internes en matière de sécurité et d’environnement sont prédominantes, d’autant plus que les postes de direction comporte plusieurs femmes, souvent plus exigeantes encore que les hommes en ces domaines. Il faut tout de même rappeler les efforts faits par cette entreprise depuis plusieurs décennies pour réduire les pollutions et les déchets, mettre en place une instance de dialogue entre les riverains et la direction dès les années 1990 (cas unique en France), l’urbanisation n’ayant cessé de rejoindre l’usine, et mener une réflexion permanente entre l’entreprise et des personnalités extérieures à propos de ses impacts environnementaux. Mais le risque zéro n’existe pas...
Dans la confusion de la communication de crise, on a « oublié » quelques questions, pourtant pertinentes… C’est plusieurs jours plus tard que l’on a entendu, ici ou là, une interrogation sur le devenir des 400 salariés de l’entreprise et des félicitations pour les 240 pompiers (y compris ceux de l’entreprise), qui eux, ont pris tous les risques… Il y a peu de temps encore, l’explosion d’un « pétard du 14 juillet » générait l’hypothèse « attentat ». Cette fois, rien… ni même sur l’hypothèse d’un acte de malveillance, évoquée plus tard. Il a été trop peu rappelé que les réglementations, les procédures, les organismes de contrôle de ce type d’installation existent depuis des décennies et sont exigeantes et globalement efficaces, mais perfectibles. Sans réduire l’importance de l’accident, il conviendrait peut être aussi de le replacer dans son contexte de la pollution de l’air : 48 000 morts par an en France à laquelle contribue notre voiture. Quant au tabac, pollution de l’air délibérément choisie, il occasionne 73 000 morts par an en France…
Nous voilà bien au cœur du débat. Comment concilier les contraires ? Avoir besoin de certains produits mais refuser les usines qui les fabriquent. Ressusciter Alphonse Allais pour mettre les usines à la campagne et ainsi libérer les villes. Fermer l’usine mais garder des emplois et ses produits. Il est urgent de sortir de cette dualité pour prendre un peu de recul et agir de façon coordonnée. Les résultats attendus des analyses des produits émis commencent à être communiqués et sont assez rassurants, même si des questions persistent. C’est le moment d’en tirer les conclusions pour l’avenir, de réfléchir aux dysfonctionnements et contradictions de notre société pour remédier à d’éventuels futurs accidents :
Quelques pistes s’offrent à nous pour améliorer les processus de prévention :
- Avoir une totale transparence de l’information en prenant les gens pour des citoyens responsables et à même de comprendre si on leur explique bien les choses. Cela signifie aussi revoir le système d’alerte qui a montré, cette fois-ci, de réelles défaillances.
- Prendre des mesures de précaution rapidement, expliquées, de façon collective, en évitant les accusations sans fondement.
- Prévoir des expertises contradictoires des risques pour plus de rigueur et de crédibilité.
- Associer le public, sous des formes diverses (comités de quartiers, réunions publiques, médias) afin de prendre des décisions comprises et acceptées.
- Dès maintenant, en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, revoir les conditions d’installation des entreprises à risques en proximité de l’habitat et des transports, avec un maximum de sécurité.
Tout cela prendra nécessairement du temps. Il faut d’abord gérer le présent puis préparer l’avenir en ne perdant pas de vue que la mesure des impacts des polluants sur les organismes vivants est une science complexe et nécessite en amont une évaluation environnementale suivie.
C’est toute la conception de notre civilisation industrielle qu’il faut maintenant repenser, en privilégiant l’Humain et l’Environnement, c’est-à-dire la Vie… avant l’argent.
Même si personne ne le souhaite, qu’en serait-il en cas d’accident nucléaire ??