Les suites à donner :
L’accident Lubrizol du 26 septembre 2019 a marqué la population par son immense nuage inquiétant. Au-delà de la communication défaillante et de la faible culture du risque, cet accident a été un véritable révélateur de notre société qui pose de nombreuses questions sur nos modes de production et de consommation, et donc à nous-mêmes.
Il convient d’abord de s’interroger sur la nécessité, ou pas, des industries polluantes et dangereuses. Si elles existent, c’est parce qu’elles produisent des choses que nous consommons. Avons-nous vraiment besoin de ces produits, en abusons-nous ? La question paraît toujours saugrenue, et pourtant c’est bien le consommateur le décideur. Dans le cas présent, l’usine Lubrizol fabrique des additifs pour les huiles moteurs qui améliorent les performances, en faisant une vidange de sa voiture seulement tous les 25 000 km. C’est utile, sur les plans économique et environnemental et cette usine a donc toute sa justification. Mais cette activité est dangereuse et demande de grandes précautions. Dès lors se posent les questions de l’emploi, de l’implantation des usines et de leur proximité avec l’urbanisation.
Concernant l’emploi, question que l’on ne peut pas éluder, l’activité pétrochimique de l’agglomération de Rouen emploie encore 30 000 personnes, bien qu’ayant perdu 20 000 emplois en 30 ans. Lorsqu’il s’est agi de fermer la raffinerie Pétroplus (anciennement Shell) devenue hyper polluante, on a bien vu combien la population elle-même hésitait entre risque technologique et protection de l’emploi. Pas si simple !...
Mais où donc implanter les usines polluantes ou dangereuses, l’urbanisation n’ayant cessé de rejoindre les usines, sachant que le risque zéro n’existe pas... Les éloigner des villes, en augmentant les déplacements et les pollutions qui vont avec les transports ? Les conserver en périphérie urbaine, avec des mesures de sécurité drastiques ? Un exemple récent vient nourrir la réflexion très à propos : la coopérative agricole Cap Seine a obtenu l’accord du Préfet, par arrêté du 21 juin 2017, pour implanter à Vieux-Manoir (près de Buchy, à 25 km au nord de Rouen) un stockage de 4 150 tonnes de produits phytosanitaires (521 pesticides différents) classé site Seveso seuil haut. Mais suite à une levée de boucliers locale, compte-tenu du danger majeur, le Tribunal administratif de Rouen a annulé l’arrêté préfectoral le 30 octobre 2019. Pas si simple !...
Bien sûr, on peut critiquer à tout va, on peut être déçu par certains élus, mais en se souvenant que c’est nous qui les avons élus et avons donc mal choisi… S’ils sont « tous mauvais » on peut aussi se présenter à une élection, il y aura bientôt plusieurs opportunités…
Alors maintenant, place à la résilience. Restons calmes ! Il y a nécessité de replacer l’accident Lubrizol dans le contexte de notre société en mutation et sans doute de repenser l’économie. Rien que ça, mais l’opportunité est là.
Soyons réalistes, on ne pourra pas déplacer toutes les usines (pour les mettre où ?) et on ne pourra pas échapper à tout risque industriel. Il faut donc, en premier lieu, revoir la culture du risque, l’enseigner, la faire partager par la population sur un vaste territoire. Ce n’est qu’ainsi que la communication, en cas de crise, pourra être efficace. A titre de prévention, il faudra sans doute encore renforcer les règles de sécurité et faire assurer les contrôles de façon plus indépendante, en y associant des représentants de la société civile. Dans tout ce processus, il ne faut surtout pas omettre la prise en compte des synergies possibles, et probables, entre risques industriels et risques climatiques : qu’en sera-t-il d’un accident comme Lubrizol, en cas de pluies diluviennes et inondations ou en cas de tempêtes violentes ?
Plus en profondeur, il va falloir s’interroger sur la raison d’être des entreprises, sur l’avenir de l’économie, donc sur notre consommation. De plus en plus il va falloir envisager des entreprises à mission dont la raison d’être est la contribution aux besoins réels de la population et non le profit. Dès maintenant, et ce processus est en route, les collectivités doivent financer les projets à impacts positifs et… oublier les autres. Ne nous y trompons pas, cette révolution va entraîner une baisse de consommation, avec des conséquences à anticiper. Nous avons pris l’habitude de vivre, souvent pour les besoins du marché et sans nécessité réelle, dans une société hyper technologique avec des processus mal maîtrisés par les utilisateurs, et souvent même par les professionnels eux-mêmes, ce qui nous complique la vie. Le but, ce n’est pas le fric, mais notre bien être !
Cette nouvelle manière de penser l’économie va placer les préoccupations environnementales, sociales et de solidarité au premier plan. Déjà les Français ont compris qu’ils étaient directement concernés, notamment par les risques industriels, mais aussi climatiques, avec les variations brutales que cela présente. La question est aussi de savoir si cette nouvelle préoccupation va se concrétiser dans l’harmonie ou créer de nouvelles fractures de notre société.
La mobilisation des jeunes pour le climat est annonciatrice. En 1968, l’aspiration était la liberté, aujourd’hui elle est la sobriété. Il ne s’agit pas d’opposer ceux qui s’inquiètent de la fin du mois à ceux qui ont peur de la fin du monde, mais l’exaspération est là.
Mesdames et messieurs les politiques, attention à Vous, avis de tempête en vue. Il se pourrait que ça souffle fort !