L’Armada 2023 a marqué l’actualité rouennaise il y a quelques semaines. Cette Armada fut celle des plus grands voiliers du monde, mais ne fut-elle pas aussi celle du plus grand rassemblement de déchets fluviaux. Non pas que l’Armada fut la cause de cette marée immonde, mais un témoin d’une situation qui perdure depuis… des décennies.
C’est en 1997 que j’effectuais l’étude commandée par le Parc naturel régional des Boucles de la Seine Normande pour établir un état des lieux précis. Le constat fut dramatique : 29 000 m3 de déchets, soit 9 000 tonnes, encombraient les berges, répartis sur 68 sites, sur un linéaire de 58 km pour 400 km de berges. De plus, 800 tonnes de déchets transitaient chaque année depuis l’amont, l’agglomération parisienne en particulier. A partir de 2001, sur une durée de sept ans, un nettoyage méthodique a permis de procéder au ramassage de 4 000 tonnes de déchets, triés et évacués vers des filières de valorisation. Plusieurs sites ont été reconquis et restitués à la nature, soit 12 hectares de marais et 8 km de berges. Après trois rapports de 272 pages au total, toute cette aventure a donné lieu à une « mise en scène » par une quinzaine de médias régionaux et nationaux, écrits et télévisuels, qui ont relaté cette étude pour laquelle était décidée une concrétisation sur le terrain.
Mais 20 ans plus tard, en 2017, les déchets revenaient sur « le devant de la Scène » avec une enquête menée par le journaliste Thibaut Schepman pour le site d’information Les Jours révèlant que malgré les ramassages, « c’est le tonneau des Danaïdes » avec des arrivages en provenance de l’amont incessants, y compris des produits dangereux, et… sans solution. Par ailleurs, la journaliste Aurelia Morvan apportait sa contribution, dans 76actu en insistant sur le fait que le manque de financement était un obstacle à l’enlèvement des déchets. En 2023 on constate des améliorations… relatives. Romain Tramoy, géologue de l’Université de Paris-Est-Créteil, étudie depuis des années le cheminement des déchets jusqu’à la mer. Il semble bien que les plastiques les plus imposants aient diminué, grâce à des nettoyages réguliers et des barrages flottants, mais par contre les plastiques de moins de 5mm sont ballottés par les courants et s’accumulent en divers endroits, notamment dans l’estuaire de la Seine. Comme chacun le sait, tout cela finit à la mer avec des millions… ou des milliards, on ne sait plus très bien, de tonnes de déchets qui ont entraîné la destruction de 50 % des récifs coralliens. De plus, 90 % des poissons les plus consommés sont en voie d’extinction et 90 % des oiseaux marins sont contaminés par le plastique, mercure ou plomb ! Désespérant…
Tout cela peut être imputé à l’inconséquence des décideurs et des élus sans doute, mais aussi à nos propres comportements et notre état d’esprit vis-à-vis de l’état de la nature. A cet égard, je ne peux manquer de rappeler cette anecdote significative, vécue le jeudi 26 avril 2018 à 9h37 : une femme ordinaire, sur le parking d’une clinique rouennaise essuie méticuleusement la glace de sa voiture avec un mouchoir en papier, pour enlever une tâche inopportune et… jette le papier au sol ! Puis c’est le caniveau, la Seine et la mer… Je m’interrogeais alors sur mon blog : Alors, c’est qui le déchet ? Y en a marre de ces gestes répétés des milliards de fois sans se soucier des conséquences.