Ils étaient tous ensemble au lycée. Depuis, ils ont gardé des liens, ce qui est facile avec internet, et ils échangent régulièrement de leurs nouvelles.
Eh bien moi écrit l’un, je suis parti parce que j’en avais un peu marre de ce petit peuple de monarchistes schizophrènes. Les Français aspirent à l’autorité, à « un chef qui remette de l’ordre », mais dans le même temps, ils contestent toute autorité d’où qu’elle vienne. C’était devenu vraiment fatigant et je suis parti très loin, en Australie.
Un autre précise qu’il s’est contenté de la Grande Bretagne. Mais il se sent plus libre, plus respecté, en dehors de tous ces comportements un peu tatillons dans une ambiance de rouspétance continuelle.
Elle est partie au Brésil, avec son compagnon. Là bas ils ont découvert un univers bouillonnant où à chaque instant, on invente, on innove, on se sent vivre. Voilà plusieurs années de cela et ils n’envisagent pas de retour dans l’immédiat.
Celui-là a choisi le Bénin pour, à la fois, prendre son temps et redécouvrir toute l’authenticité des contacts humains. C’est une autre planète qu’il ausculte ainsi, avec une vraie gourmandise. Il perçoit mieux là-bas la fragilité de l’environnement et la volonté populaire de le préserver.
Pour elle, ce fut directement la Chine. Une autre planète aussi, une préfiguration d’un lendemain qui fait un peu peur, mais qui est une sorte de feu d’artifice permanent, avec des inventions, des constructions à chaque minute sous la poussée massive d’une population laborieuse et décidée.
Tous racontaient, succinctement, leur nouvelle vie, leurs découvertes et parfois évoquaient leurs regrets : fuir la France, un pays si prometteur et qui ne leur donnait plus rien, ou presque. Ils avaient fui cette schizophrénie nationale, cette corruption politique rampante et inavouée, ce populisme montant, le chômage croissant, une anxiété qui conduit au repli sur soi et à la peur de l’autre. Mais ils exprimaient aussi, à mots couverts, comme un pincement au cœur. Ils n’étaient pas PDG de grandes entreprises, ni du CAC40, ou des people en cours d’évasion fiscale. Non, ils étaient des jeunes gens qui ne croyaient plus en leur pays, tout simplement.
Un jour, parmi la foultitude de courriels qu’ils échangeaient, l’un d’eux eut cette audace, ou ce coup de cafard : et si on rentrait, si on se retrouvait tous, en France. Oh pas pour refaire un grand pays. On nous a tant bassinés avec ces pseudo slogans un rien nationalistes : la France est un Grand Pays, la France a le meilleur système éducatif au monde, la France a un service de trains que le monde entier nous envie… Quelles foutaises ! Non, si on revenait simplement pour contribuer à faire de ce pays un lieu exemplaire, où il fait bon vivre avec des gens qui se respectent, une volonté d’inventer l’avenir et un rien de nonchalance.