Le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! a connu un succès phénoménal, avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus. Le paragraphe clé en est sûrement : « … le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Les banques désormais privatisées se montrent d’abord soucieuses de leurs dividendes, et des très hauts salaires de leurs dirigeants, pas de l’intérêt général. L’écart entre les plus pauvres et les plus riches n’a jamais été aussi important ; et la course à l’argent, la compétition, autant encouragée ». On peut penser que cette flèche a atteint sa cible, venant de ce vieux monsieur de 93 ans, en réveillant la jeunesse que l’on pouvait croire endormie…
Le mouvement des « indignés » s’étend maintenant dans toute l’Europe, avec pour point commun un rejet du monde politique et une opposition au « système » qui ne parvient pas à les intégrer dans la vie économique. Mouvement décentralisé, sans leaders, à la recherche d’une démocratie réelle, le mouvement des indignés est l’expression d’un « ras le bol » de la jeunesse, mais aussi de tous ceux que se sentent rejetés. Sans doute ce mouvement va-t-il connaître rapidement ses limites et il n’est pas sûr qu’après le « Printemps arabe », nous connaissions un « Printemps européen ». Mais on aurait tord de sous-estimer cette « révolution silencieuse » et pacifique qui vient comme un avertissement, pour refuser la dictature du fric. Il s’agit d’un mouvement qui s’appuie sur l’humain, qui revendique de participer au fonctionnement de la société plutôt que d’en être exclu par le chômage, malgré des niveaux de formation élevés. Les indignados européens regardent les politiques comme trop profiteurs, déconnectés des réalités et revendiquent leur participation aux choix de société.
Les indignés sont éduqués, cultivés et conscients des perspectives d’avenir, de leur avenir. Alors que depuis le début de cette année, l’Agence Internationale de l’Energie a rappelé que le pic pétrolier s’est produit… en 2006 ; que les perturbations climatiques se constatent un peu partout sur la planète ; que la catastrophe de Fukushima a réveillé des « peurs technologiques » ; les politiques continuent de gouverner à court terme, sans vision prospective, avec la croissance et la compétitivité pour seules boussoles. Nous voilà bien face à l’émergence d’une nouvelle façon de penser le monde, à « l’avènement d’une civilisation de l’empathie » comme le préconise l’essayiste américain Jeremy Rifkin (Une nouvelle conscience pour un monde en crise, ed. Les liens qui libèrent), alors que le discours ambiant déplorait les égoïsmes. Car il s’agit bien là d’une conscience altruiste qui prend en compte le fait que notre mode de vie n’est plus durable. Un immense espoir se lève, ne le gâchons pas !