Le couple s’était installé en bout de table et commençait à manger. Ségolène goûta et s’extasia en chantonnant : oh mon doux poulet, mon doux poulet… Et Jean-Luc, un instant attendri et interrogateur : mais de qui donc parles-tu comme ça. - Oh je parlais seulement du poulet qui est dans mon assiette. A vrai dire, elle avait un peu un air de pintade en prenant les gens de haut, la tête très en avant par rapport à l’arrière train, un peu à la traîne.
Un peu contrit, Jean-Luc rétorqua : alors si tu parles du poulet de notre assiette, il n’est peut être pas si doux ! Tu sais que je suis un lecteur fidèle du Canard Enchaîné, j’ai justement gardé avec moi un article du 1er août 2012, pour le jour où l’on aurait à manger du poulet. Cet article s’intitule « Les poulets Doux et les dindons de la farce ». Ségolène l’écoutait à peine et dégustait son volatile. Jean-Luc sortit l’article de sa poche et lui tendit en commentant l’essentiel de la prose canardesque : Tu te rends compte que le groupe Doux est en faillite et que tout le monde s’en émeut en termes d’emploi, sans se poser d’autres questions. Là on ne peut plus parler d’élevage, il « fabriquait » un million de poulets par jour, calibrés à 1,5 kg, après avoir passé toute leur vie de 40 jours à 25 par mètre carré ! Ségolène n’était visiblement pas très émue par ces vies manquant singulièrement d’intérêt et rétorqua en s’essuyant la bouche : On s’en fout de ton article du Canard, puisque ce poulet est excellent, on ne lui demande rien de plus. Et plus de 3 000 emplois, c’est pas à prendre en compte ? Jean-Luc tenait à compléter son commentaire et ajouta : Mais tu es inconsciente ou quoi. Il n’y a pas que le sort du poulet, il y a aussi celui du consommateur. Les conditions d’élevage sont propices à développer la bactérie E. coli. Et puis il y a aussi l’aspect financier, dans la mesure où Doux a bénéficié d’aides, notamment européennes d’un montant total de 2 milliards d’euros. Et puis, il y a aussi le fait que les poulets sont engraissés au soja brésilien et pour une part sont ensuite exportés… au Brésil. Bonjour le bilan carbone. En plus de cela, l’essentiel des 3 400 employés sont des smicards et le volailler contribue au développement des algues vertes sur la côte bretonne, à hauteur de 14 000 tonnes d’azote par an ! Ségolène était visiblement excédée par ce cours à la fois de morale, d’écologie et d’économie et lui balança tout net : Et mon cul, c’est du poulet ? Comme l’avait répliqué Brigitte Bardot à Jean-Paul Belmondo dans le film « La vérité » de Clouzot, ce qui exprime bien un doute. Jean-Luc en eut le bec clos et grommela tout en finissant son assiette. Ils regagnèrent leur bureau, sans mot dire, au deuxième étage du ministère pour un après-midi de travail. Jean-Luc au service de l’Economie solidaire et Ségolène au bureau du Développement durable.
Moralité : Mais dis-donc mon didou didou, si tu veux pas être un dindon, tu ferais mieux de ne pas manger du Doux didou didou.