Aujourd’hui, l’agriculture européenne traverse des difficultés, au moment où un milliard de terriens souffrent de la faim. La récente crise du lait a révélé un raccourci caricatural de la situation : le lait européen, produit à partir de vaches nourries au soja brésilien, crée des carences alimentaires pour les Brésiliens, détruit la forêt, sans permettre aux agriculteurs européens de vivre de leur activité !
La répartition des aides publiques est très disparate selon les spécialisations des exploitations et variable selon les années. Mais les aides représentent entre 77 % et 93 % du revenu net de la « ferme France », ces dernières années. C’est dire que la production agricole est largement financée par le contribuable, très peu par le consommateur, qu’elle est donc une production publique, de fait. Un débat franco-français récurrent porte sur ce qui doit être nationalisé ou pas. Que faut-il nationaliser si ce n’est d’abord ce qui correspond aux besoins primaires de la population, à savoir l’eau et l’alimentation en premier lieu. Alors pourquoi ne pas nationaliser l’agriculture vivrière ? Il ne s’agit pas, bien sûr, de recréer des kolkhoz d’un autre âge ou des kibboutz, ou de transformer les agriculteurs en fonctionnaires. Mais le regard de la société sur l’agriculture est en train de changer et de plus en plus d’agriculteurs français prennent conscience de la nécessité à la fois économique et écologique de changer de méthode. La baisse du revenu agricole n’explique qu’en partie les récentes manifestations, le manque de perspective claire crée une incertitude qui vire à l’angoisse. Les agriculteurs se revendiquent souvent comme « libéraux », mais c’est la libéralisation des marchés qui les tue.
L’agriculture a la grandeur de nous procurer la ressource la plus stratégique qui soit : notre alimentation. Les mesures récentes du gouvernement français visent à renforcer des filières plus courtes et à encourager la contractualisation entre producteurs et industriels. Pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement : l’Etat assure le « service public de l’alimentation » en contractualisant (via une agence de l’alimentation) avec les agriculteurs pour définir les productions, leur qualité et leur prix. Quelle agriculture voulons-nous ? Des exploitations concentrées de caractère industriel ou une agriculture de territoire qui garantit la diversité, la qualité et le respect de l’environnement. Il est temps de choisir, faute de quoi certains groupes financiers de la grande distribution, déjà aux abois, sont prêts à investir dans des milliers d’hectares pour produire eux-mêmes les denrées alimentaires.
Voir aussi nos chroniques « Paysan, un métier du futur ? » du 03-06-08 et « Nationaliser l’eau ? » du 03-02-09.