Si on avait la possibilité de choisir, faudrait-il mieux être une libellule ou un loup ? Une gentiane ou un calamar géant ? La libellule a son avis sur la question, tout comme le petit monde grouillant des mouches, araignées et autres insectes ou mollusques, sur lesquels pèse une menace d’extinction. Les Hommes n’ont toujours pas compris que si tout ce petit monde venait à disparaître, ils pourraient bien suivre le même chemin… Ce sont les scientifiques de l’Union internationale pour la conservation de la nature qui le disent ! D’accord rétorque le loup, mais bon, ils ne sont pas très cohérents ces humains. Ils prétendent me protéger et en même temps certains d’entre eux me déclarent la guerre. Ils me reprochent des carnages de brebis, alors qu’ils ne sont pas capables de reconnaître ces « sans papiers » que sont les chiens errants. Et puis certains humains confondent même les boeufs et les chevaux !
La gentiane bleue prend un air moqueur et déclare que tout cela, c’est du n’importe quoi ! On ne sait pas qui est vraiment menacé. Evidemment rétorque la libellule, comment veux-tu compter tout ce monde ? D’après les humains, nous serions entre 2 et 100 millions d’espèces. Quel foutoir ! Le loup, avec son air majestueux et un rien moqueur, ajoute que tout cela devrait s’arranger puisque l’organisation patronale, le Medef, s’intéresse de près à la biodiversité et prévoit des compensations écologiques à ses impacts. A moins que l’on soit tous morts d’ici là, ajoute cyniquement un nénuphar. Il a fallu aux humains sept ans pour créer la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), alors… Une mante religieuse glisse « gentiment » : vous finirez peut être tous à la zoothèque du Museum de Paris...
Mais un grand remous dans l’eau voisine fait apparaître un « monstre » de huit mètres d’envergure, pourvu de tentacules, qui surmonte toute l’assemblée avec beaucoup d’arrogance. Moi, le calamar géant, je ne joue pas dans la même cour que vous, les humains m’ont enfin découvert à 600 mètres de profondeur, après un temps de recherche invraisemblable. Ils m’ont photographié sous toutes les coutures et fantasment sur mon corps d’argent et ma grâce. C’est autre chose. Arrivé d’on ne sait où, un bonobo sautille joyeusement, exhibant une partie de son corps qui lui donne accès à tous les bonheurs. Dans une courte intervention il rappelle que lui au moins, il partage volontiers ses repas avec des congénères d’une autre espèce et qu’il a une grande capacité d’empathie.
Mais soudain, on entend dans le ciel comme un bruit de réacteur d’avion. C’est tout simplement un vol de calmars, ces céphalopodes de vingt centimètres qui arrivent à planer au-dessus des vagues, en escadrille. L’un d’eux a le mot de la fin, à l’intention du calamar géant : « Quand les cons voleront, tu seras chef d’escadrille ». Mais quel foutoir cette nature, on se croirait chez les Hommes !