Jérémy vivait dans la prairie proche et on s’observait par la fenêtre de la cuisine sans y prêter vraiment attention. J’aimais quand il partait au galop avec des hennissements qui semblaient dire « je vais bien », « je suis heureux ». Les restes de pain dur étaient pour lui, il venait près de la haie pour les attraper, à l’appel de son nom. A d’autres moments, c’est lui qui « gognait » de mon côté et semblait me dire « alors mec, ça va ? ».
Il faut dire que depuis quelque temps, la prairie avait été partagée en deux parties et à côté de lui s’étaient installés un cheval noir et un âne. Tous deux s’entendaient parfaitement. Mais Jérémy, notre cheval blanc manifestait, par-dessus la clôture, un intérêt certain pour ces deux équidés. Plus particulièrement, il copinait avec le cheval noir et tous deux se faisaient des papouilles, se grattaient mutuellement, presque des bisous… C’était ravissant et tendre.
Il aurait été plus simple de les mettre ensemble, mais ils n’appartenaient pas au même propriétaire, les deux parcelles de prairie non plus. Chacun chez soi, tout de même. Il en fut ainsi tout le printemps et l’été, et ce fut une réelle animation locale pleine de poésie.
Mais voilà, la saison passait, l’automne était là, puis les premières gelées arrivaient. Fort à propos, le propriétaire du cheval noir et de l’âne décida de les mettre à l’abri pour l’hiver qui arriverait bientôt. Et un soir, les deux copains équidés partirent, solidement tenus par le licol. Ils gagnèrent la limite de parcelle, la barrière, puis la route, et disparurent de la vue.
C’est alors que Jérémy, qui avait observé la scène en s’approchant au maximum, se mit à galoper le long de la clôture séparant les deux parcelles en poussant des hennissements douloureux. Il avait compris que l’on venait de lui arracher ses deux amis, il était visiblement bouleversé, courant, hennissant sans fin. Il faisait pitié le pauvre Jérémy qui continua ce manège pendant une heure, jusqu’à la nuit noire. Le lendemain matin, Jérémy semblait calmé, mais il arpentait encore la prairie le long de la clôture, scrutait l’horizon et ne voyait rien venir…
Oui, Jérémy avait exprimé ses sentiments et nous murmurait à notre oreille humaine : « Moi aussi j’ai des sentiments et suis capable d’empathie, d’amitié, voire d’amour, bien qu’étant un cheval, un animal, une bête ! »
Ce fut, en quelque sorte, une lecture inversée de l’histoire racontée dans le film de Robert Redford, « L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux ». Quand les bêtes nous donnent des leçons… d’humanité.
Il est paru :
LEROND, Michel.- Quel foutoir la nature ! Mini nouvelles 2008-2016.- Paris : les Impliqués (l’Harmattan), 2016.- 149 p.
Cent mini éco-nouvelles rassemblées de façon construite, selon les piliers du développement soutenable : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=51719 …