Dans mon village de Normandie, il y a le « Grand Mont », témoin de l’effondrement du bombement calcaire initial de l’ère tertiaire. L’érosion a entamé le substrat en laissant des buttes témoins, plus dures. Cette forme élevée, arrondie et douce, avec son flanc creusé du « Fer à Cheval », ne manque pas de susciter la curiosité du fait de sa grande originalité parmi nos paysages.
Le Grand Mont constitue un patrimoine important, tant pour sa valeur paysagère (une des plus importantes buttes témoins du Pays de Bray, même si l’altitude n’est que de 186 mètres) que pour l’intérêt de sa végétation (présence d’orchidées sauvages, de gentianes d’Allemagne et autres plantes caractéristiques des coteaux calcaires). Une centaine d’espèces de plantes, dont une dizaine d’espèces d’orchidées (2 à 4 000 individus selon les saisons), font de ce site un des plus riches de toute la Haute-Normandie.
Ce sont ces arguments qui ont justifié que le Grand Mont soit inscrit, depuis une vingtaine d’années, à l’inventaire ZNIEFF, établi par le ministère en charge de l’environnement. Depuis un an, le Grand Mont est également inscrit à l’inventaire Natura 2000, recensement européen des sites naturels importants.
Tout cela est connu : un dossier de protection-gestion a été monté depuis quatre ans avec un rapport documenté (sans succès pour le moment), deux articles ont été publiés dans le bulletin municipal, plusieurs visites ont été faites sur place pour des groupes, des élus locaux ou des responsables des services concernés et l’agriculteur exploitant (un homme charmant et à l’esprit ouvert) a été informé.
Après avoir été longtemps pâturée par des moutons, une partie du site a été mise en jachère agricole, seulement entretenue de façon douce à l’automne, dans le contexte de la PAC qui visait à réduire la surproduction. Mais voilà que les temps changent : la PAC s’inverse pour inciter à produire davantage, et donc remettre en culture les jachères, avec obligation administrative.
Ces derniers jours, le coteau ouest en jachère, a été traité au désherbant, puis le terrain a été fumé pour être mis en culture. La station est détruite pour des années, ou des décennies…
Tout cela en « direct-live », sous nos yeux incrédules, impuissants que nous sommes… Au vu de ce spectacle, j’ai ressenti comme une convulsion, une montée de larmes qui ne s’épanouit pas… Est-il venu le temps de désespérer définitivement ? Faut-il croire encore en la raison des hommes ?
Sans doute la station renaîtra-t-elle un jour. A partir du Fer à Cheval, on peut imaginer une nouvelle expansion de la végétation sauvage. Gilbert Bécaud chantait « Quand il est mort, le poète. Le monde entier pleurait ». Le Grand Mont, patrimoine de mon village… planétaire : la Terre survivra sans doute, quant aux hommes ?...